Les experts avertissent que la disparition rapide du bétail indigène de l’Afrique menace l’approvisionnement alimentaire du continent

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D’ « anciennes » espèces bovines d’Afrique de l’Ouest, résistantes aux maladies, figurent parmi les races qui risquent de disparaître parce que le bétail importé est en train de supplanter un précieux cheptel indigène.

Une action urgente est indispensable pour arrêter la perte rapide et alarmante de la diversité génétique du bétail africain qui apporte nourriture et revenus à 70 % des Africains ruraux et constitue un véritable trésor d’animaux résistants à la sécheresse et aux maladies. C’est ce que dit une analyse présentée aujourd’hui à une importante réunion de scientifiques africains et d’experts du développement.

Les experts de l’Institut international de recherche sur l’élevage (ILRI) ont expliqué aux chercheurs réunis pour la cinquième Semaine africaine des sciences agricoles (www.faraweek.org), accueillie par le Forum pour la recherche agricole en Afrique (FARA), que des investissements sont indispensables aujourd’hui même pour intensifier, en particulier en Afrique de l’Ouest, les efforts d’identification et de préservation des caractères uniques de la riche variété de bétail bovin, ovin, caprin, et porcin, qui s’est développée au long de plusieurs millénaires sur le continent et qui est aujourd’hui menacée. Ces experts expliquent que la perte de la diversité du bétail en Afrique fait partie de « l’effondrement » mondiale du cheptel. Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, près de 20 % des 7 616 races de bétail existant dans le monde sont aujourd’hui considérées comme à risque.

« L’élevage africain est un des plus robustes au monde, et pourtant nous assistons aujourd’hui à une dilution, si pas une perte totale, de la diversité génétique de nombreuses races, » dit Abdou Fall, chef du projet diversité animale de l’ILRI pour l’Afrique de l’Ouest. « Mais aujourd’hui, nous avons les outils nécessaires pour identifier les caractéres de grande valeur du bétail africain indigène, une information qui peut être cruciale pour maintenir, voire augmenter la productivité de l’exploitation agricole africaine. »

M. Fall décrit les différentes menaces qui pèsent sur la viabilité à long terme de la production de bétail en Afrique. Ces menaces comprennent une dégradation du paysage et le croissement avec des races « exotiques » importées d’Europe, d’Asie et d’Amérique.

Par exemple, on assiste à un croisement sur une très large échelle de races des zones sahéliennes d’Afrique de l’Ouest et susceptibles aux maladies avec des races adaptées aux régions subhumides, comme le sud du Mali, et qui ont une résistance naturelle à la trypanosomiase.

La trypanosomiase tue entre trois et sept millions de tètes de bétail chaque année et son coût pour les exploitants agricoles se chiffre en milliards de dollars, lorsqu’on prend en compte, par exemple, les pertes de production de lait et de viande, et les coûts de médicaments et prophylactiques nécessaires au traitement ou à la prévention des maladies. Bien que le croisement puisse offrir des avantages à court terme, comme une amélioration de la production de viande et de lait ou une plus grande puissance de trait, il peut également faire disparaître des caractères très précieux qui sont le résultat de milliers d’années de sélection naturelle.

Les experts de l’ILRI déploient à l’heure actuelle des efforts importants en faveur d’une campagne visant à maîtriser le développement d’une résistance aux médicaments chez les parasites qui provoquent la trypanosomiase. Mais ils reconnaissent aussi que des races dotées d’une résistance naturelle à cette maladie offre une meilleure solution à long terme.

Ces races comprennent les bovins sans bosse et à courtes cornes de l’Afrique de l’Ouest et du Centre, qui ont vécu dans cette région avec ces parasites pendant des millions d’années et ont ainsi acquis une résistance naturelle à de nombreuses maladies, y compris la trypanosomiase, propagée par la mouche tsétsé, et les maladies transmises par les tiques. De plus, ces animaux robustes sont capables de résister à des climats rudes. Mais les races à courtes cornes et à longues cornes ont un désavantage : elles ne sont pas aussi productives que les races européennes. Malgré ce désavantage, la disparition de ces races aurait des conséquences graves pour la productivité future du bétail africain.

« Nous avons observé que les races indigènes sans bosse et à courtes cornes d’Afrique de l’Ouest et du Centre font l’objet d’un abatage aveugle et d’un manque d’attention aux bonne pratique d’élevage, et risquent ainsi de disparaître,» explique Fall. « Il faut qu’au minimum nous préservions ces races soit dans le contexte de l’exploitation, soit dans des banques de gènes : leurs caractéristiques génétiques pourraient en effet s’avérer décisives dans la lutte contre le trypanosomiase, et leur robustesse pourrait être un atout essentiel pour des exploitants agricoles qui auront à s’adapter au changement climatique. »

Le Kuri aux grandes cornes bulbeuses du Sud Tchad et du Nord-est du Nigéria fait partie des bovins africains à risques. Non seulement il ne se laisse pas déranger par les piqûres d’insecte mais il est également un excellent nageur, vu qu’il s’est développé dans la région du lac Tchad, et est idéalement adapté aux conditions humides dans des climats très chauds.

Les actions de l’ILRI en faveur de la préservation du bétail africain indigène s’inscrivent dans un effort plus large visant à améliorer la productivité de l’exploitation agricole africaine au travers de ce qu’on appelle la « génomique du paysage ». Cette dernière implique entre autre chose, le séquençage des génomes de différentes variétés de bétail provenant de plusieurs régions, et la recherche des signatures génétiques associées à leur adaptation à un environnement particulier.

Les experts de l’ILRI considèrent la génomique du paysage comme étant particulièrement importante vu l’accélération du changement climatique qui impose à l’éleveur de répondre toujours plus rapidement et avec l’expertise voulue à l’évolution des conditions de terrain. Mais ils soulignent qu’en Afrique en particulier, la capacité des éleveurs à s’adapter aux nouveaux climats va dépendre directement de la richesse du continent en termes de diversité de son cheptel indigène.

« Nous assistons trop souvent à des efforts qui visent à améliorer la productivité du bétail dans la ferme africaine en supplantant le cheptel indigène par des animaux importés qui à long terme s’avéreront mal adaptés aux conditions locales et vont demander un niveau d’attention simplement trop onéreux pour la plus part des petits exploitants agricoles, » dit Carlos Seré, Directeur général de l’ILRI. « Les communautés d’éleveurs marginalisées ont avant tout besoin d’investissement en génétique et en génomique qui leur permettront d’accroitre la productivité de leur cheptel africain, car ce dernier reste le mieux adapté à leurs environnements. »

M. Seré souligne la nécessité de nouvelles politiques qui encouragent les éleveurs et les petits exploitants agricoles africains à conserver les races locales plutôt que de les remplacer des animaux importés. Ces politiques, dit-il, devraient comprendre des programmes d’élevage centrés sur la l’amélioration de la productivité du cheptel indigène comme alternative à l’importation d’animaux.

Steve Kemp, qui dirige l’équipe de génétique et de génomique de l’ILRI, ajoute que les mesures de conservation en exploitation doivent également s’accompagner d’investissements en faveur de la préservation de la diversité qui permettront de geler le sperme et les embryons. On ne peut en effet exiger du seul exploitant agricole qu’il renonce à une augmentation de la productivité au nom de la conservation de la diversité.

« Nous ne pouvons pas attendre de l’exploitant qu’il sacrifie son revenu avec pour seul objectif de préserver le potentiel de diversité, » explique M. Kemp. « Nous savons que la diversité est essentielle pour relever les défis auxquels l’exploitant africain est confronté, mais les caractéres de grande valeur qui seront importants pour l’avenir ne sont pas toujours évidents dans l’immédiat. »

M. Kemp recommande une nouvelle approche pour mesurer les ressources génétiques du cheptel. Aujourd’hui, dit-il, l’estimation de ces caractéristiques porte essentiellement sur des éléments tels que la valeur de la viande, du lait, des œufs et de la laine, mais elle ne prend pas en compte d’autres attributs qui pourraient avoir une importance égale, voire supérieure, pour l’éleveur, qu’il soit en Afrique ou dans une autre région en développement. Ces attributs comprennent la capacité d’un animal à tirer la charrue, à fournir de l’engrais, à faire office de banque ou compte d’épargne ambulant, et d’être une forme efficace d’assurance contre les pertes de récolte.

Mais l’association de ces multiples attributs avec l’ADN d’un animal exige de nouveaux moyens pour rechercher et comprendre les caractéristiques du cheptel dans une région caractérisée par une grande diversité et une grande variété d’environnements.

« On dispose aujourd’hui des outils nécessaires, mais nous avons besoin de la volonté, de l’imagination et des ressources avant qu’il ne soit trop tard, » indique M. Kemp.
 

Experts warn rapid losses of Africa’s native livestock threaten continent’s food supply

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Resilient disease-resistant, 'ancient' West African cattle, such as these humpless longhorn N'Dama cattle, are among breeds at risk of extinction in Africa as imported animals supplant valuable native livestock

Urgent action is needed to stop the rapid and alarming loss of genetic diversity of African livestock that provide food and income to 70 percent of rural Africans and include a treasure-trove of drought- and disease-resistant animals, according to a new analysis presented today at a major gathering of African scientists and development experts.

Experts from the International Livestock Research Institute (ILRI) told researchers at the 5th African Agriculture Science Week (www.faraweek.org), hosted by the Forum for Agricultural Research in Africa (FARA), that investments are needed now to expand efforts to identify and preserve the unique traits, particularly in West Africa, of the continent's rich array of cattle, sheep, goats and pigs developed over several millennia but now under siege. They said the loss of livestock diversity in Africa is part of a global 'livestock meltdown'. According to the United Nations Food and Agriculture Organization, some 20 percent of the world's 7616 livestock breeds are now viewed as at risk.

'Africa's livestock are among the most resilient in the world yet we are seeing the genetic diversity of many breeds being either diluted or lost entirely', said Abdou Fall, leader of ILRI's livestock diversity project for West Africa. 'But today we have the tools available to identify valuable traits in indigenous African livestock, information that can be crucial to maintaining and increasing productivity on African farms.'

Fall described a variety of pressures threatening the long-term viability of livestock production in Africa. These forces include landscape degradation and cross-breeding with 'exotic' breeds imported from Europe, Asia and the America.

For example, disease-susceptible breeds from West Africa's Sahel zone are being cross-bred in large scale with breeds adapted to sub-humid regions, like southern Mali, that have a natural resistance to trypanosomosis.

Trypanosomosis kills an estimated three to seven million cattle each year and costs farmers billions of dollars each year in, for example, lost milk and meat production and the costs of medicines and prophylactics needed to treat or prevent the disease. While cross-breeding may offer short-term benefits, such as improved meat and milk production and greater draft power, it could also cause the disappearance of valuable traits developed over thousands of years of natural selection.

ILRI specialists are in the midst of a major campaign to control development of drug resistance in the parasites that cause this disease but also have recognized that breeds endowed with a natural ability to survive the illness could offer a better long-term solution.

The breeds include humpless shorthorn and longhorn cattle of West and Central Africa that have evolved in this region along with its parasites for thousands of years and therefore have evolved ways to survive many diseases, including trypanosomosis, which is spread by tsetse flies, and also tick-borne diseases. Moreover, these hardy animals have the ability to withstand harsh climates. Despite their drawbacks—the shorthorn and longhorn breeds are not as productive as their European counterparts—their loss would be a major blow to the future of African livestock productivity.

'We have seen in the short-horn humpless breeds native to West and Central African indiscriminate slaughter and an inattention to careful breeding that has put them on a path to extinction', Fall said . 'We must at the very least preserve these breeds either on the farm or in livestock genebanks because their genetic traits could be decisive in the fight against trypanosomosis, while their hardiness could be enormously valuable to farmers trying to adapt to climate change.'

Other African cattle breeds at risk include the Kuri cattle of southern Chad and northeastern Nigeria. The large bulbous-horned Kuri, in addition to being unfazed by insect bites, are excellent swimmers, having evolved in the Lake Chad region, and are ideally suited to wet conditions in very hot climates.

ILRI's push to preserve Africa's indigenous livestock is part of a broader effort to improve productivity on African farms through what is known as 'landscape genomics'. Landscape genomics involves, among other things, sequencing the genomes of different livestock varieties from many regions and looking for the genetic signatures associated with their suitability to a particular environment.

ILRI experts see landscape genomics as particularly important as climate change accelerates, requiring animal breeders to respond every more quickly and expertly to shifting conditions on the ground. But they caution that in Africa in particular the ability of farmers and herders to adapt to new climates depends directly on the continent's wealth of native livestock diversity.

'What we see too often is an effort to improve livestock productivity on African farms by supplanting indigenous breeds with imported animals that over the long-term will prove a poor match for local conditions and require a level of attention that is simply too costly for most smallholder farmers', said Carlos Seré, ILRI's Director General. 'What marginalized livestock-keeping communities need are investments in genetics and genomics that allow them to boost productivity with their African animals, which are best suited to their environments.'

Seré said new polices also are needed that encourage African pastoralist herders and smallholder farmers to continue maintaining their local breeds rather than abandoning them for imported animals. Such policies, he said, should include breeding programs that focus on improving the productivity of indigenous livestock as an alternative to importing animals.

Steve Kemp, who heads ILRI's genetics and genomics team, added that in addition to conservation on the farm, there must also be investments in preserving diversity by freezing sperm and embryos because farmers cannot be asked to forgo productivity increases solely in the name of diversity conservation.

'We cannot expect farmers to sacrifice their income just to preserve the future potential of diversity', Kemp said. 'We know that diversity is critical to dealing with the challenges that confront African farmers, but the valuable traits that may be important in the future are not always immediately obvious.'

Kemp called for a new approach to measuring the characteristics of livestock genetic resources. Today, he said, these estimates focus mainly on such things as the value of meat, milk, eggs and wool and do not include qualities that can be of equal or even greater importance to livestock keepers in Africa and other developing regions. These attributes include the ability of an animal to pull a plough, provide fertilizer, serve as a walking bank or savings account, and act as an effective form of insurance against crop loss.

But associating this wider array of attributes with an animal's DNA requires new ways of exploring and understanding livestock characteristics in a region where there is so much diversity in so many different environments.

'The tools are available to do this now, but we need the will, the imagination and the resources before it is too late', Kemp said.